En
remontant l’avenue Louis Bertrand, une plaque de rue m’a
rappelé que le premier homme avoir dépassé les 100km/h en voiture
était un schaerbeekois. L’exploit de Camille Jenatzy est épique
et vaut la peine d’être racontée.
Jenatzy et sa "Jamais Contente" sont officiellement les plus rapides du monde |
Nous
sommes le 29 avril 1899, à Archères, près de Paris. Le temps
est infect. Au bord d’une longue ligne droite, tout le gratin du
monde de la finance, des sports, des arts est là. Les conversations
vont bon train quand soudain, au loin, à deux kilomètres de là, un
coup de feu impose à tous le silence. Surgit alors un cigare gris
qui passe en sifflant. On distingue à peine la barbe rousse et les
lunettes de celui qui conduit ce bolide, penché comme un jockey. Le
chronométreur n’en croit pas ses yeux. Pour la première fois au
monde, un homme vient de franchir les 100 km/h sur une automobile.
Cet homme s’appelle Camille Jenatzy. Il est belge. Sa voiture, « La
Jamais-Contente » est électrique. L’exploit qu’il vient de
réaliser clôture le défi qui tient la capitale française en
haleine depuis plusieurs mois.
Le sprint final de la "Jamais Contente": 105 km/h! |
C’est
Paul Meyan, directeur de la principale
revue automobile d’alors, « La France Automobile »,
qui a l’idée de créer une course de vitesse sur 2 kilomètres. Le
règlement parait dans son journal et donne rendez-vous aux
compétiteurs le dimanche 18 décembre 1898. Le principe est simple.
Le starter donne le départ. Un premier chrono au 1er
kilomètre et un deuxième chrono au 2ème
kilomètre donnent les temps du kilomètre départ arrêté et du
kilomètre lancé. L’endroit est bien choisi. Une route
soigneusement entretenue et parfaitement rectiligne traverse un parc
de 1.000 hectares qui appartient à la ville de Paris. Il est
situé à Archères, en bordure de Seine, près de l’hippodrome de
Maison-Laffitte. Les inscriptions sont nombreuses, tous ceux qui
comptent dans le monde automobile veulent y être. Le Comte de
Chasseloup-Laubat gagne haut la main. A bord de sa Jeantaud, une
voiture électrique, il atteint la vitesse de 64,154 km/h, ce qui
pour l’époque est exceptionnel, la majorité des voitures
atteignant péniblement les 25-30 km/h. Tout aurait pu s’arrêter
là si le lendemain, Paul Meyan n’avait pas reçu cette lettre en
provenance de Bruxelles.
Mon
cher Meyan,
J’ai
bien regretté de n’avoir pu prendre part à la course de 2
kilomètres que vous avez organisée hier à Archères. Je désire
cependant appliquer le proverbe qui dit « Ce qui est différé
n’est pas perdu ».
En
conséquence, je prie Monsieur le Comte de Chasseloup de bien vouloir
relever le défi que je lui lance conformément aux statuts de la
course.
Comptant
sur votre estimable journal pour communiquer à Monsieur le Comte de
Chasseloup les intentions dont je vous ai fait part ci-dessus, je
vous présente mes cordiales salutations.
Bien
à vous,
Camille
Jenatzy
PS :
Les 500 francs, montant de l’enjeu, sont à votre disposition au
Siège de la Compagnie Générale des Transports Automobiles, 56 rue
de la Victoire à Paris
Camille
Jenatzy n’est pas un inconnu pour
Paul Meyan. Fils de Constant Jenatzy, célèbre fabricant belge de
pneumatiques, Camille a brillamment réussi ses études d’ingénieur
en électricité. Il croit dur comme fer à la traction électrique
et a créé à Paris la Compagnie Générale des Transports
Automobiles. Son entreprise fabrique et vend des fiacres (ancêtre du
taxi) et des camionnettes électriques. Pour la faire connaître,
Jenatzy participe à toutes les courses automobiles possibles et son
palmarès est fameux. Paul Meyan est aux anges. Chasseloup contre
Jenatzy, ça promet.
Une affiche d'époque pour les pneus Jenatzy |
Jenatzy
a un mois pour tenter de battre le record de Chasseloup. Tous
deux se retrouvent le 17 janvier à Archères. Jenatzy, challenger,
est le premier à s’élancer. 66 km/h ! Chasseloup est battu.
Qu’importe ! Chasseloup reprend le volant et atteint la
vitesse de 70 km/h ! La lutte entre les deux hommes ne fait que
commencer. Jenatzy ne s’avoue pas vaincu d’autant que Chasseloup
roule sur une Jeantaud, son principal concurrent sur le marché
parisien des fiacres…
10
jours plus tard, les deux hommes se retrouvent de nouveau à
Archères. Jenatzy frôle les 80km/h. Chasseloup s’élance à son
tour mais un incident mécanique l’arrête au bord de la piste. Ce
n’est que partie remise. Le 4 mars, le Comte de Chasseloup-Laubat a
fait adopter une carrosserie profilée à sa Jeantaud. Conçue pour
la vitesse pure, son avant a la forme d’une proue de bateau. Ce
changement porte ses fruits, la Jeantaud est chronométrée à 92,307
km/h. Jenatzy, présent au bord de la piste, n’est pas surpris du
résultat. Il prétend même qu’il peut faire mieux avant un mois.
En fait, il prépare dans le plus grand secret une nouvelle voiture.
C’est
le 31 mars 1899 qu’il la dévoile. Sa
carrosserie a la forme d’un gros cigare. Constituée de tôles de
partinium, un alliage très léger, assemblées sur une carcasse
d’arceaux, elle est 60% plus légère que si elle avait été
construite selon les méthodes traditionnelles en vigueur à
l’époque. A l’arrière, les dynamos sont directement reliées
aux roues de petit diamètre. Jenatzy est certain que cette
disposition permettra à sa voiture d’aller beaucoup plus vite. Sa
voiture a de l’allure. Elle est peinte en bleu gris, son châssis
et ses roues sont écarlates. Sur le flanc, elle arbore fièrement
son nom : La Jamais Contente. Pourquoi ce nom ? C’est son
épouse qui a eu l’idée. En hommage à ce mari qui voulait
toujours faire mieux, toujours progresser, toujours aller plus vite.
A ce mari qui n’était jamais content de lui.
Au
coup de pistolet, Jenatzy s’élance. Il va vite. Très vite.
Mais la performance ne sera pas homologuée en raison d’une erreur
de distance. En effet, Jenatzy avait demandé de partir 200 mètres
avant le poteau officiel afin d’éviter un empierrement gênant. Le
chronométreur présent à l’arrivée a été prévenu trop tard du
changement intervenu, la distance parcourue par Jenatzy était donc
de 2.200 mètres. Tout est à refaire. Ce n’est que partie remise.
La seconde tentative sera la bonne. Elle aura lieu le samedi 29 avril
1899. Ce jour-là, Jenatzy atteint la vitesse exacte de 105,879 km/h.
Tandis qu’il est acclamé comme un héros, le Comte de
Chasseloup-Laubat jette le gant. Il laisse définitivement le record
aux mains de Jenatzy et sa « Jamais Contente ». Tous deux
entrent définitivement dans la légende du sport automobile.
La réplique de la Jamais Contente exposée au Musée de Compiègne (France) |
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